• Lettre d'Amy à Fan - 8

     Lettre 8 - 08-06-2011 (c)

    Envoyée le 8 juin 2011

     

    Franceska,


    Je déteste les fins d’années scolaires. C'est une période particulièrement ingrate. Entre les dernières interrogations des profs sadiques, les glandeurs qui ont déjà déserté les classes ou celles qui se vident à coups d’emplois du temps gruyère, la population lycéenne semble s’évaporer sous le soleil. Pourquoi ne suis-je pas déjà en terminale ? C'est aujourd’hui qu’eux finissent les cours. Nous on relativise, on se dit qu’ils ont le bac … et que viendra notre tour. Mais franchement, c'est un peu déprimant.

    Et puis les programmes se terminent. On nous annonce avec un grand sourire le décompte pour les épreuves anticipées du baccalauréat. Saleté ; je n’ai plus un instant à moi. Si Maman me surprend hors de ma chambre ou pire, prête à sortir, elle m’assassine de discours grandiloquents, me faisant clairement comprendre que ma chambre est encore le meilleur endroit pour travailler mes épreuves de français et d’enseignement scientifique. Ah, pour une fois qu’elle a une raison valable pour me tenir au frais celle-là, je te jure qu’elle en profite, et pas qu’un peu. Je crois que c'est encore pire qu’à la période où toi, tu as passé ton bac - le vrai. D’accord, tes résultats annuels étaient (et de loin) bien meilleurs que les miens. Mais franchement, croit-elle vraiment qu’en m’enfermant à double tour dans ma chambre elle m’obligera à ouvrir mes cahiers ? C'est plus à te dégouter de bosser une bonne fois pour toutes. Et puis ma chambre. Mon univers. Tu sais, c'est dingue le nombre de trucs que j’ai pu y retrouver ces derniers temps du coup !

    Mes épreuves sont le 20 juin. Puis le 22. Entre deux, la fête de la musique, histoire de nous assommer un bon coup. Et après, l’oral suit. Mais j’en connais une qui ne passera rien : Magalie.

    Magalie, c'est une de mes voisines de début d’année. Je t’en ai déjà parlé*, elle était devant moi en début d’année et même déjà dans ma classe en seconde. Cette fille est adorable. Son rêve ? Devenir mannequin. Comme beaucoup de filles qui sont déjà passées devant un appareil photo puis par un logiciel de retouche, je l’avoue. Mais elle, on y croit. Elle a ses chances. Jolie, photogénique, et plutôt grande, ce qui peut l’aider dans le domaine.

    Elle est juste en train de se détruire. Progressivement. Cette fille est anorexique. Début septembre, je ne la trouvais déjà pas grosse. Quand on a appris sa … maladie (appelons un chat un chat, comme dirait la mère de Canaille), on a tous été un peu choqués. Elle a fondu à vue d’œil. Elle a perdu ses couleurs. Mais pas son sourire, et c'est ca qui est surprenant chez elle. Elle est d’une force de caractère incroyable.

    Et puis lundi dernier, en cours de sport, elle s’est effondrée. Plus de force. Le prof a appelé une ambulance et depuis, elle est toujours hospitalisée. Samedi, avec Canaille, Aaron, Sophie, Angeline, Luca et Maxence, on est passés la voir. Elle est bourrée de perfs et a perdu son sourire. Et ça, du coup, ça nous a rendus mal à l’aise. Parce qu’on ne la reconnaissait plus. On lui avait ramené un bouquet de gerberas - je ne connaissais même pas le nom de ces fleurs - choisies avec soin par Mathilde, qui n’avait pas pu nous accompagner. On a du interdire aux garçons l’idée stupide de la boite de chocolats. Luca a voulu opter pour un panier de fruits ; mais comme beaucoup de celles qu’il peut avoir, son idée est tombée à plat. Il est gentil Luca. Mais il serait bien plus efficace s’il essayait d’être un peu sérieux de temps en temps. Parce que son sens de l’humour est pourri. Vraiment.

    Finalement, on s’est quand même demandé si les fleurs, c’était une bonne idée. Elle avait les larmes aux yeux en nous voyant arriver, et elle répétait qu’elle n’était pas une mourante. Que c’était sympa, mais que cette chambre lui foutait le cafard. La discussion est vite tombée à plat. Sophie, Angéline et Luca ne sont pas restés longtemps. Et comme Maxence se sentait un peu seul face à notre triple amitié, il n’a pas tardé à sortir aussi. Canaille a dit qu’elle aurait du ramener sa harpe. Aaron l’a charriée. Et l’atmosphère s’est un peu détendue.

    Ces deux là sont vraiment ambigus. On sent que chacun fait des efforts pour ne pas blesser l’autre. Au début, les contacts se faisaient avec des chaussons, et c’était dur de dérider l’un ou l’autre. Maintenant, Canaille me parle d’un autre gars : il s’appelle Marc-Henri mais le surnom de Marquant qu’elle lui a attribué s’est vite imposé. Il est dealer, et j’ai peur de savoir comment ils se sont rencontrés. Elle m’a promis de me présenter. Je ne sais pas si c'est une très bonne idée. J’ai peur pour elle. La drogue, elle s’en est déjà attachée. Et je n’ai pas envie de la visiter comme Magalie. De la trouver dans le même état. Le bac, c'est la chose que je crains le plus : Canaille est une éternelle stressée. Je ne peux pas lui interdire la clope, mais de là à la drogue, le pas est si facile à franchir. J’espère juste qu’elle restera sage. Elle me dit que oui et j’ai envie de la croire. Elle connaît du monde, elle est influençable, je le sais.

    Ouaip, la drogue me fait peur. Parce que j’ai déjà vu des gens qui étaient particulièrement atteints lors de sa consommation. Des gens qui ne mesuraient plus ce qu’ils faisaient. En soirée une fois, une fille a fait un « bad trip ». Elle a fondu en larmes et on a du en urgence verrouiller les fenêtres. Flippante, elle a cassé l’ambiance de la soirée, certes, mais je pense qu’elle en a surtout fait réfléchir plus d’un. Moi, ca m’a suffit pour que je n’y touche pas. Mais Canaille, je ne pense pas.

    Aaron vient de m’appeler. Il organise une virée en ville samedi. Il espère y inviter Magalie, mais je n’y crois pas. Il manque un peu de réalisme : je crois qu’elle n’est pas là de sortir. Pour elle aussi, les médecins ont peur ; pour son moral surtout. Et j’en ai assez d’avoir peur Fan. Je voudrais redevenir une enfant, glisser sur les rampes sans peur de me cogner à l’arrivée, m’asseoir sur la rambarde du balcon sans avoir peur d’en tomber, voir la vie simplement et que l’on m’en cache ses saletés. Mais je grandis, j’apprends à grandir. Le monde adulte me montre ses différentes facettes en riant. En se riant de moi. J’aimerais que tu sois là pour me les montrer, toi qui les connais déjà. J’aimerais que tu sois là pour en discuter, toi qui les appréhende mieux que moi. Je n’ai pourtant pas d’autre choix que de te les décrire. Te les écrire. Toi qui est si loin. Tes conseils me manquent. Tes astuces qui font rire et tes idées sans aucune logique. Tes mots réconfortants face aux miens, si distants maintenant.

    Je voudrais tant te parler. Pour de vrai.

    Tu me manques tant.

    Je t’embrasse,

     

    Ta petite sœur, Amy.

     

    *Voir lettre 3 de Janvier 2011

      

     

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