• Lettre d'Amy à Fan - 1

    Lettre 1 - 06-11-2010 (c)

    Envoyée le 6 novembre 2010

     

    Ma chère sœur,

    Je ne comprends pas comment tu as pu me faire cela. Tu es partie. Point à la ligne. Au lendemain de mes seize ans et de tes vingt, tu m’as balancé la nouvelle en pleine figure.

    Nous sommes nées le même jour avec quatre ans pile d’intervalle. Chacun de nos anniversaires a été mémorable. Parce que nous étions à deux. J’attendais ton cadeau et tu piaffais d’impatience de découvrir le mien : des poèmes jusqu’aux divers bricolages, de ce côté là, j’ai toujours été des plus inventives.

    Comme le deux septembre tombait chaque année le jour de la rentrée, Papa et Maman avaient décidé d’un commun accord de fêter l’évènement le samedi qui suivit. L’ambiance était comme d’habitude plutôt maussade : les parents ont beau faire un effort ce jour là, on reste encore bien loin de l’ambiance festive dont on peut rêver.

    J’ai accroché la photo dans ma chambre, au dessus de mon bureau : toi à gauche, moi à droite, les mains enlacées et croisées, souriantes, et devant nous les flammes dorées des chiffres en cire. Deux et zéro pour toi plantés sur un cake de fruits confits, un et six pour moi sur un gâteau précuit au chocolat. Maman, même pour tes vingt ans, n’avait toujours pas fait l’effort de cuisiner. Sous chacune de nos assiettes, une enveloppe et de l’argent. Seule cadeau que l’on pouvait espérer de leur part. La suite de la journée, je n’en suis pas peu fière : j’avais organisé avec Phil un truc extra, avec tous tes amis. Nous les avons rejoins à l’entrée de la boite de nuit où vous m’avez introduite et nous avons tous fini la soirée chez ton petit ami. Ca, c’était de la fête !

    Et une semaine après, que m’annonces tu ? Ton départ. Jolie façon de me remercier.

    Tu ne m’as pas donné les raisons de ton départ. Juste cette adresse. Est-elle censée tout justifier ? Peut être préféreras tu me les donner par écrit ? Le huit octobre dernier, vers vingt heures, on a sonné à la porte. Un grand gaillard à la peau mate, aux cheveux et aux yeux ébène. Vingt trois ans et entièrement dévoué à une certaine Lily, comme il l’appelât alors. « Lily est prête ? ». A moi qui faisais office de portière, ces trois mots qu’il m’adressa alors eurent l’effet de trois flèches profondément fichées. Et tu es descendue, une valise dans la main droite que tu trainais derrière toi, un sac sur tes épaules et un autre dans ta main gauche. Tu m’as adressé un petit sourire que j’aurais presque cru désolé et tu m’as demandé « Ana, tu veux bien m’aider et descendre les deux cartons sur le pas de ma porte, s’il te plait ? ». Je n’ai pas pu refuser. J’ai grimpé quatre à quatre les marches de l’escalier tapissé de moquette verte sapin usée et je me suis trouvée devant ta porte. La trônaient deux grands et lourds cartons ainsi que ton vanity gris.

    J’ai osé pousser la porte. Ta magnifique porte. Je me souviens de cet après midi entier que nous avions passé à la peindre. Trois avaient précédé pour élaborer la décoration qui l’ornerait. Et le résultat avait été au-delà de nos espérances. La porte était splendide. On avait transformé cette planche lisse en un espace blanc sur lequel nous avions collé les autocollants de tes groupes favoris, qui étaient également les miens. Nous y avions inscrit ce qui nous passait par la tête dans toutes les couleurs de l’arc en ciel. Le bas de la porte représentait une ville de nuit et le haut la nuit en elle-même, étoilée, éclairée semblait il d’un croissant de lune. De l’autre coté de la porte, coté chambre cette fois, nous y avions calligraphié nos deux surnoms, qui sont pour nous notre véritables identités. Amy et Fan. En grand, avec une couleur par lettre. Le fond était la répétition sans fin de cette phrase, écrite en gris et en tout petit : Encore plus fort qu’une amitié : La Fraternité.

    C’est cette porte que je poussais. C’est des souvenirs que je poussais.

    Je reçu une nouvelle fois un coup de poignard.

    Ta chambre était, de nos deux univers, la plus grande. Elle avait été repeinte pour tes quinze ans, alors que j’en avais donc onze. Un univers de couleurs, une oasis de simplicité et de recherche artistique à la fois. Des fauteuils aussi colorés de la chambre, de petits poufs moelleux avaient germé un peu partout.

    Cet univers, c’était tout à fait toi. Et tu voulais que ce soit tout à fait moi aussi : tu avais décidé que ce lieu serait notre refuge à toute les deux. Tu le voulais aussi plaisant pour toi que pour moi. Et tu m’avais certifié qu’il me serait perpétuellement ouvert.

    Cette fois ci, j’ai regretté que la belle porte n’ait pas été verrouillée.

    La chambre était vide. Il n’y restait que ton lit, dénué maintenant d’édredon ou de couverture, les quelques poufs qui n’avaient pas été crevés au cours de batailles d’oreillers endiablées… sauf un. Le jaune citron, que tu aimais tant, et que tu avais déjà déménagé. Les rideaux avaient été décrochés. Les étagères et l’armoire vidée. Cette même armoire démontée. Le tapis roulé. Les posters décrochés.

    Je ne pus empêcher une larme de rouler sur ma joue. Pourquoi ce coup de tête ? Pourquoi cette envie soudaine de foutre le camp ? Tu m’as brusquée. Je n’ai pas pus appréhender. Tu m’as lachée. Tu m’as tuée.

    J’ai envie de te dire que je ne t’aime plus mais cela serait faux. C’est parce que je t’aime que tu me manques tant. Nous sommes sœurs, tu t’en rappelle ? Du même sang. Et que tu sois loin, que tu sois proche, ce sont désormais les mots qui nous rapprochent. Alors pense à moi. Ecrit moi.

    Ta dévouée,

    Ana.

     

    Ezrane - Tous droits réservés
    © copyright Sat Nov 06 18:29:13 UTC 2010 - All Rights Reserved


    Tags Tags : , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :